Chargée d’un fort potentiel créateur, cette image fait naître l’incertitude chez celui qui la regarde. S’agit-il d’une photo, d’une peinture, d’une gravure, d’un pastel ? S’agit-il d’une représentation exacte de la réalité ou d’un sujet fictif ? Ces questionnements sont au cœur du pictorialisme, mouvement esthétique en photographie qui s’épanouit entre 1880 et 1920. Issu du terme « picture », « image » en anglais, le pictorialisme vise à s’élever au rang des beaux-arts, au même titre que la peinture. Il varie dans la manière de rendre le réel au spectateur et s’inspire des sujets traditionnels de la peinture comme le paysage, le portrait ou la vue d’architecture. Ainsi, il privilégie certaines techniques comme le flou artistique, les effets de clair-obscur, les cadrages tronqués et l’intervention manuelle sur les tirages. Par l’usage de ces techniques, le pictorialisme floute la frontière entre la photographie et les arts graphiques.
Cette image, prise par un amateur, est un instantané qui traduit la puissance du mouvement. D’inspiration lyrique dans le sujet représenté – une jeune femme dans un jardin – l’impression d’une nature luxueuse nous submerge et laisse apparaître le chemin que s’apprête à emprunter la jeune femme, sorte de labyrinthe végétal, où l’imaginaire s’enfonce. Le caractère mystérieux de l’image nous conduit à la rêverie et est rendu à la fois par les effets de contrastes clair-obscur, par le jeu dans les textures, par le flou et par la construction géométrique.
Notons le contraste entre la clarté du chemin et l’aspect sombre du feuillage. De même, le chemin semble lisse comparé au feuillage des haies, très dense. L’effet de flou s’accentue progressivement du centre de l’image – de la figure féminine – vers les bords. Le contrôle des textures est également palpable lorsque qu’on remarque les différences de rendu entre l’imposant buisson de haie à l’avant plan et le feuillage des arbustes du centre et de l’arrière-plan. Le buisson de l’avant-plan est d’un noir très dense ; le détail du feuillage, comparable à la touche légère et lumineuse des impressionnistes, nous absorbe dans l’image. De manière tout aussi intéressante, le feuillage des arbustes des deux derniers plans, d’un gris plus doux, offre un rendu vaporeux. Toutefois, le feuillage des haies placées en dessous des arbustes est de la même texture que celui de l’avant-plan, bien qu’il soit moins vif afin de rendre l’effet de lointain. Toutes ces techniques permettent des contrastes qui attirent le regard du spectateur et structurent l’image. Enfin, par la convergence des lignes du chemin et des haies, la perspective s’apparente à celle d’un tableau. Le regard est ainsi dirigé vers un point de fuite quasi unique se situant juste en dessous du chapeau de la jeune femme.